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Diffusion de l'Esperanto - Se concentrer sur l'Esperanto comme méthode de préparation à l'apprentissage des langues

Soumis par Patricio le dim, 02/10/2011 - 07:18
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From:
Laurent ZIBELL [ class="moz-txt-link-freetext"
href="mailto:laurent_zibell@wanadoo.fr">mailto:laurent_zibell@wanadoo.fr]


Sent: Sunday, May 04, 2008 10:43 PM

To: O RIAIN Sean (DGT)

Cc: de Chergé

Subject: Diffusion de l'Esperanto - Se concentrer sur
l'Esperanto comme méthode de préparation à l'apprentissage
des langues


Cher Sean O'Riain,







Je vous écris sur la recommandation d'Hilaire et Isabelle de
Chergé, qui m'ont transmis vos coordonnées, et du fait de votre
fonction de Président de la Eŭropa Esperanto-Unio.



J'apprends l'Esperanto depuis octobre 2007, en partie grâce à la
conviction d'Hilaire, et me suis intéressé au défi que
représente le fait de diffuser largement l'usage de cette langue
en Europe. J'ai vu les travaux de Claude Piron, et suis
convaincu de l'intérêt de l'usage de l'Esperanto comme langue de
communication internationale, en substitution de l'Anglais. Bien
que les arguments soient nombreux: performance, efficacité,
coût..., la tâche semble immense et difficile, presque hors
d'atteinte.



Je voudrais par la présente vous convaincre qu'une stratégie
efficace pour diffuser l'enseignement de l'Esperanto est de
focaliser les efforts sur le message suivant: l'Esperanto,
enseigné dans le cadre d'un réseau européen de jumelages entre
classes de l'enseignement primaire, est une méthode très
performante de préparation à l'apprentissage des langues
,
selon le principe que vous promouvez de "tremplin pour les
langues" (Saltotabulo al lingvoj). Se focaliser sur ce message
signifie aussi: délibérément abandonner (ou très largement
minimiser) les autres modalités de promotion de l'Esperanto.



J'insiste sur le fait que je vous propose de promouvoir un
système allant au-delà du "tremplin pour les langues" que vous
connaissez, puisqu'il comprend un couplage avec un réseau
international de jumelage entre classes.



J'appuierai mon plaidoyer sur trois arguments:

  • mon expérience antérieure de consultant en stratégie
    d'innovation
    m'a appris que, face à une concurrence
    très établie, une tentative de substitution frontale est
    vouée à l'échec, et que le seul mode de pénétration passe
    par l'identification et la colonisation d'une niche
    écologique favorable
  • la population des instituteurs européens,
    contraints de se former (mal) aux langues étrangères, me
    semble former pour cette stratégie un allié naturel,
    très présent et très influent
  • la conjonction de l'enseignement de l'Esperanto et d'un
    réseau de jumelage entre classes de l'enseignement primaire
    me semble présenter des caractéristiques uniques
    pour atteindre de très hautes performances dans la
    préparation à l'enseignement des langues, par la
    gratification des élèves, leur motivation et en termes de
    justice sociale.

Je reprendrai ces trois arguments ci-après.



La situation des promoteurs de l'Esperanto, qui ambitionnent de
se substituer cette langue à l'Anglais comme langue de
communication internationale, m'a rappelé des situations que
j'ai souvent rencontrées dans mon activité professionnelle
antérieure d'investisseur en capital-risque et de consultant en
innovation technologique.



Il est très fréquent dans ces environnements qu'un produit
nouveau apparaisse sur le marché, qui présente des qualités
nettement supérieures à celles de la solution existante:
performances meilleures, coût inférieur, nouvelles fonctions....
Pourtant, il arrive aussi qu'il ait de grosses difficultés à se
substituer à cette solution existante. Un exemple très connu est
celui des systèmes d'exploitation pour ordinateur, dominé par
Windows, alors que son concurrent principal Linux est meilleur,
plus robuste, et infiniment moins cher. Les raisons les plus
fréquentes de cette difficulté à substituer le produit nouveau
plus performant à l'ancien sont les suivantes:

  • la solution existante constitue un système technique
    cohérent, dont les relations internes sont multiples et ont
    pris longtemps à s'établir et à se mettre au point: le
    changer demande de modifier simultanément toutes ces
    interactions, et met en péril le fonctionnement même du
    système pendant la période de transition, où se déroule la
    substitution du système ancien (moins performant) par le
    nouveau
  • la solution existante constitue également un système
    économique
    rentable pour celles et ceux qui en vivent:
    même si le coût pour la collectivité est énorme du fait de
    son inefficacité, le système ancien fait vivre toute une
    économie et des milliers (des millions?) de personnes, qui
    ont elles un intérêt économique très fort à sa perpétuation.
    Cette population (partiellement parasitaire) constitue un
    soutien politique minoritaire mais très motivé en faveur de
    la solution existante (car la disparition de celle-ci leur
    causerait un préjudice important), alors que la solution
    nouvelle bénéficie à une population certes très large, mais
    peu motivée, car l'avantage pour elle est important, mais
    pas vital
  • enfin, la solution existante constitue une base
    installée
    énorme dont le coût de substitution
    (indépendamment des risques techniques évoqués plus haut)
    constitue un investissement lourd, qui ne sera rentabilisé
    que dans la longue durée.

Ce sont là des éléments qui vous sont sans doute familiers dans
votre promotion de l'Esperanto en substitut de l'Anglais comme
langue de communication internationale. Le système technique et
économique est celui de la traduction, de l'interprétation
simultanée, des séjours linguistiques, des outils
d'apprentissage, des systèmes informatiques.  La base
installée est celle de la littérature technique et scientifique
dans la plupart des domaines du savoir, de la science et de
l'ingénierie.



J'omets volontairement les dimensions de la langue comme outil
de pouvoir politique et d'identité culturelle, qui ajoutent une
complexité supplémentaire.



Dans cette situation, mon expérience de consultant en innovation
m'a amené à privilégier une stratégie de niche. Plutôt
que de chercher à réaliser une substitution complète de l'ancien
système par le nouveau, dans une lutte frontale qui présente les
difficultés décrites ci-dessus, il est en général plus fructueux
de trouver un espace favorable, en général petit, où commencer à
se développer et à prospérer, pour ensuite chercher à coloniser
un domaine plus vaste. C'est une stratégie très inspirée de
l'évolution des espèces vivantes.



En général, cette niche présente des côtés décevants pour la
personne qui promeut l'innovation. Elle ne mobilise qu'une
petite fraction des nombreux avantages de sa solution technique,
et s'appuie souvent sur une fonction ou un avantage technique
jugé mineur, non fondamental. Elle peut donc apparaître comme
une "trahision" de l'esprit de l'innovation, comme le fait de
"brader" ses nombreux avantages.



Dans le cas de l'Esperanto, il me semble que la "niche"
aujourd'hui la plus favorable pour sa promotion est comme une méthode
de préparation à l'apprentissage de langues
, selon le
principe que vous promouvez de "tremplin pour les langues"
(Saltotabulo al lingvoj), et non comme une langue.



Bien sûr, cette vision de la promotion de l'Esperanto non pas
comme une langue, mais comme une méthode de langue, est
décevante et apparaît réductrice. Je partage cette impression.
Cepenant, je sais aussi que ce sentiment de réduire les nombreux
avantages d'une innovation en se focalisant sur une application
mineure est, comme je vous l'ai décrit, une situation fréquente
pour les promoteurs d'une innovation radicale. L'accepter est
difficile, mais est, d'expérience, indispensable pour que le but
soit, in fine, atteint.



Si l'Esperanto est promu comme une langue en soi, il se heurte à
la concurrence des autres langues, qui accumulent des arguments
émotionnels très forts, en plus des difficultés
technico-économiques, décrites ci-dessus, qui s'opposent à la
substitution globale  de l'Anglais comme langue de
communication internationale. Il est alors vulnérable à une
volonté d'écrasement niant son caractère même de langue, et
cela, malgré tous les arguments valables développés depuis plus
d'un siècle allant en sens contraire par la communauté
espérantiste.



En revanche, en tant que méthode d'apprentissage, l'Esperanto se
situe dans un environnement beaucoup plus ouvert. Le monde des
méthodes de langues est certes concurrentiel, mais il est
ouvert, et aucune méthode à ce jour n'y jouit de position
dominante ou hégémonique. Au contraire, c'est un domaine
d'expérimentation permanent, dans lequel aujourd'hui
l'exploration des possibilités ouvertes par les Technologies de
l'Information et de la Communication tient une grande place,
mais sans que ces innovations n'apportent de gain spectaculaire.
Comme personne n'a à ce jour trouvé la solution miracle
d'enseignement des langues étrangères, il est parfaitement
légitime de continuer à expérimenter. Il n'existe aucun argument
réellement sérieux qui oblige à utiliser une méthode plutôt
qu'une autre, et surtout qui justifie d'interdire spécifiquement
l'usage d'une méthode. Comme les résultats scientifiques sont là
pour démontrer la valeur propédeutique de l'Esperanto, la mise
en oeuvre de la méthode est justifiable.



Le caractère ouvert du champ de concurrence pour les méthodes de
langues, l'extrême difficulté à se substituer frontalement à
l'Anglais comme langue de communication internationale et mon
expérience antérieure expliquent pourquoi je pense qu'il faut se
focaliser sur une niche, et que la préparation à l'apprentissage
des langues est la niche favorable au développement
futur de l'Esperanto.





Mon second argument tient à ce que la préparation à
l'apprentissage des langues étrangères est aujourd'hui de la
responsabilité des instituteurs et institutrices,
enseignants du cycle primaire. Ils sont soumis à une forte
pression sociale des parents, qui sont conscients de
l'importance pour leur enfant de connaître au moins une langue
étrangère de communication, ainsi qu'aux exigences de leur
hiérarchie et des programmes. En revanche, les instituteurs et
institutrices n'ont en général pas de formation appropriée en
Anglais (ou dans d'autre langue étrangère) pour faire face à ces
nouvelles obligations et exigences. Ils cherchent à se former,
sous une forte pression de temps, et aboutissent à un résultat
médiocre, insatisfaisant pour eux, et ultimement pour leurs
élèves. La médiocrité des connaissances en langues étrangères
des instituteurs est liée à ce que l'apprentissage sérieux d'une
langue étrangère naturelle est un processus long et difficile,
comme vous le savez.



Si en revanche les instituteurs et institutrices européens se
voient proposer une méthode de préparation à l'apprentissage des
langues étrangères qui leur demande un effort de formation
réduit pour un résultat rapide, fiable et tangible, à savoir une
méthode fondée sur l'Esperanto, ils peuvent se transformer pour
vous en des alliés nombreux et  influents. À
nouveau, mon expérience de l'introduction d'innovations dans un
champ social me montre que la mobilisation d'alliés est
essentielle au succès.





Enfin, et ce sera mon dernier argument, je pense que
l'enseignement de l'Esperanto, dans le cadre d'un réseau de
jumelage de classes de l'enseignement primaire utilisant des
techniques de télécommunication Internet et des échanges
physiques, présente des qualités de performance dans
l'enseignement des langues inaccessibles à toute autre méthode.



En effet, l'Esperanto, du fait de sa structure pleinement
logique, de sa conformité avec la manière naturelle d'apprendre
une langue par généralisation des observations initiales, est
source de résultats rapides, et donc de gratification
pour les élèves. Cette gratification, le sentiment que l'on
obtient des résultats tangibles et rapides, est un facteur
important du désir d'apprendre. Vous connaissez déjà cet
argument, que vous avez développé pour le "tremplin pour les
langues".



En plus de cet avantage intrinsèque que constitue la simplicité
et la logique de l'Esperanto, la mobilisation d'un réseau
international de jumelage entre classes, avec une possibilité de
dialogue direct via Internet (par écrit par clavardage ou
oralement, avec des outils comme Skype) apporte une source
supplémentaire de motivation à l'apprentissage. Les
élèves expérimentent directement, et très rapidement (beaucoup
plus tôt qu'avec toute autre langue concurrente de l'Esperanto),
que l'apprentissage d'une langue donne accès à des personnes
avec lesquelles il serait impossible de communiquer sinon. Cette
observation directe, au terme de moins d'un an, que
l'apprentissage est concrètement utile, et qu'il permet de
parler, d'écrire et de dialoguer avec des homologues à travers
toute l'Europe, constitue une ouverture et une motivation
potentiellement très puissante à apprendre les langues, et à
découvrir la culture et la vie de l'autre. En cette "année
européenne du dialogue interculturel" de 2008, cet objectif peut
justifier d'un accueil favorable des autorités...



Comme l'Esperanto ne connaît pas de pays avec des locuteurs
natifs, le réseau de jumelage entre classes du primaire autour
de l'Esperanto sera par construction équilibré à travers l'Union
Européenne, contrairement à la situation actuelle où la langue
de communication internationale est celle de la population de 2
États membres, et qui donc concentrent l'écrasante majorité des
demandes de jumelage linguistique.



Cet équilibre entre États membres de l'Union dans ce réseau
international de jumelage présente de surcroît un avantage
important en terme de justice sociale dans l'accès aux
langues. En effet, un des outils véritablement efficaces
d'apprentissage d'une langue étrangère reste l'immersion dans un
pays où elle est parlée couramment, dans le cadre de séjours
linguistiques.



Dans la situation où la langue de communication la plus
recherchée est l'Anglais, cela crée une situation très
déséquilibrée dans l'offre et la demande de séjours
linguistiques, rendant la formule de l'échange gratuit
pratiquement inaccessible, et contraint à entrer dans une
économie des séjours linguistiques payants. Le caractère payant
des séjours, joint à la distance parfois longue à franchir pour
des pays qui ne sont pas voisins des îles britanniques, rend ces
séjours économiquement difficiles d'accès aux plus pauvres et
aux plus éloignés des Européens. Cette concentration de la
demande de séjours linguistiques sur deux pays seulement est
donc facteur d'inégalité sociale d'accès aux langues.



Au contraire, dans le cas de jumelages autour de l'Esperanto,
tous les États membres sont également attractifs pour un séjour
linguistique: la seule condition à remplir pour que le séjour
soit efficace est que la langue de communication entre l'élève
et sa population d'accueil soit l'Esperanto. Il suffit donc de
franchir une frontière linguistique, quelle qu'elle soit, et
quelle que soit la distance. C'est pourquoi, dans ce régime,
l'échange est possible, car l'offre et la demande de séjours est
équilibrée. De surcroît, il est possible à courte distance, sans
avoir besoin d'aller jusqu'aux îles britanniques. Toutes ces
caractéristiques diminuent le coût du séjour linguistique, et en
améliorent l'accès au plus grand nombre. Elles contribuent à la
justice sociale dans l'accès aux langues.



Je suis donc convaincu qu'un tel système de préparation à
l'apprentissage des langues, fondé sur l'Esperanto et sur un
réseau international de jumelage entre classes du primaire, sera
un outil extrêmement performant d'apprentissage des langues.





Malgré la déception qu'elle peut susciter, une stratégie
promouvant l'Esperanto comme une méthode d'apprentissage des
langues, et non comme une langue me semble donc potentiellement
efficace. Elle est une niche favorable, ouverte, où l'Esperanto
peut se développer. Elle peut susciter l'appui d'alliés nombreux
et influents, les instituteurs et institutrices. Enfin, elle est
performante pour atteindre son but affiché de préparation à
l'enseignement des autres langues, par la motivation qu'elle
engendre. Au-delà, elle me paraît extrêmement fructueuse pour
développer rapidement des générations entières de jeunes
Européens ayant appris à communiquer internationalement avec cet
outil - et qui, j'en ai la conviction, continueront à s'en
servir tout au long de leur vie. Et c'est bien là l'ambition de
long terme de l'Esperanto, la langue équitable de communication
internationale.



J'espère avoir ainsi contribué à votre réflexion, et me tiens
bien évidemment à votre disposition pour m'en entretenir plus
avant.



Je vous prie de recevoir, cher Sean O'Riain, l'expression de mes
sentiments les meilleurs.


-- 
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Laurent ZIBELL
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